Jonas Delhaye en résidence d’artiste au Cerfav

Le Cerfav accueille son premier artiste en résidence jusqu’au 30 juin 2019 : l’artiste plasticien Jonas Delhaye 

Avec le développement de son activité de médiation culturelle depuis 2016 et le positionnement de sa Galerie|Atelier comme lieu de valorisation de la création contemporaine en verre, le Cerfav avait la volonté d’accueillir un artiste en résidence.
C’est grâce à l’appui et conseils de l’association Vent des Forêts, et ensuite par la validation d’un dossier de financement par la DRAC Grand Est et le programme LEADER financé par le FEADER (Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural), que le Cerfav a approché l’artiste Jonas Delhaye, qui lui n’en est pas à sa première résidence.

Nous avons fait un point avec Jonas, quelques semaines après son arrivée.

Fanny Guenzi (Cerfav) : Pour ceux qui ne te connaissent pas encore, peux tu te présenter brièvement?

Jonas: Je m’appelle Jonas Delhaye, je suis artiste plasticien, plutôt orienté sur la photographie mais pas que. Je pars dans plein de directions et c’est plutôt un rapport au monde que je cherche à défendre et que je produis souvent. Là, c’est la découverte du verre, comment essayer d’intégrer ce matériau à ma pratique et comment il se forme ou se transforme en fonction de mes expériences personnelles.

F: Ce n’est pas la première fois que tu touches le verre?

Jonas: Ce n’est pas la première fois mais c’était différent. C’est à dire que j’ai déjà fait un workshop au centre verrier de Meisenthal. C’était la première fois que  je touchais le verre à chaud, et puis, expérience étonnante pour moi, c’était la première fois que je faisais faire une pièce. C’est d’autant plus intéressant pour moi que dans mon travail je fais tout de A à Z. C’est à dire que quand je dois faire des cadres, développer mes photos, c’est moi qui fais et je laisse très peu de chose à un élément extérieur.

F: Tu veux tout maîtriser?

Jonas: Tout maîtriser ou en tout cas intégrer le fait que le faire, la praxie fait partie de mon travail, notamment dans le temps.

Le temps qu’on prend à faire les choses donne de l’importance, non pas parce que ça devient un objet qui se fabrique avec du temps, mais finalement aussi parce que cela me permet d’apprendre et souvent d’avoir un rapport à l’objet qui est un peu plus extérieur. J’apprends aussi de ce que je fais donc j’aime beaucoup cette idée de l’expérience du faire.

C’est un peu les questionnements que je me pose, car ce qui était intéressant à Meisenthal, c’était de se dire « je pense à un objet et je le fais fabriquer ». Mais ce n’est pas du tout dans ma manière de faire. Ce workshop est venu triturer mon rapport à la création. Ici au Cerfav, le rapport peut être un peu plus ambigu, notamment pendant le premier mois où j’ai découvert tout ce que l’on pouvait faire en verre. Il y a cette petite béquille qui est difficile à gérer parce que je suis très en retrait et en même temps j’aimerais être complètement actif mais comment trouver sa place dans ce nouveau lieu et son fonctionnement.

F: Tu n’en es pas à ta première résidence, comment tu t’y retrouves dans ce fonctionnement?

Jonas: Pour moi c’est à la fois hyper important, parce que j’ai un travail qui est quand même très orienté sur le fait d’être vivant, d’habiter un espace, et finalement, j’ai très peu une pratique d’atelier. Quand j’ai un atelier, c’est souvent pour du stockage ou du travail très précis mais mon travail a toujours tendance à vouloir passer la porte ou les fenêtres pour aller vers l’extérieur.

F: Tu t’ennuierais dans un atelier?

Jonas: Non ce n’est pas ça. Pour moi, un atelier, c’est d’une certaine manière un peu comme une bibliothèque. C’est à dire qu’une bibliothèque contient des livres qui nous donnent envie de sortir. Je pense que puisque que je me raccroche à l’idée de vouloir faire l’expérience du monde, des relations avec  les gens, j’ai toujours envie de sortir à l’extérieur.

La résidence permet d’être surpris, d’être dans un contexte où finalement on ne connaît rien. J’adore le moment lorsque j’arrive quelque part, je sens que tout est inconnu mais à la fois il y a ce petit sentiment que dans le temps tout va me devenir familier, les gens, le rapport au matériau. Ce sont ces intuitions là qui me sont importantes.

Après, la contrepartie, c’est le risque que cela comporte. J’ai tendance à vouloir prendre ce risque, quitte à me tromper. C’est ce que je dis souvent aux étudiants lorsque je réponds à leurs questions. Je trouve que dans le monde actuel, on n’accepte plus d’échouer et je pense qu’effectivement, il y a côté sécurisant à faire ce qu’on sait faire. On peut même arriver à une forme de technicité très pointue mais je pense que ça peut avoir tendance à nous couper d’une forme du réel ou finalement d’une forme de créativité qui aurait tendance  à vouloir pousser les bords et découvrir.

Finalement, si à un moment donné, même dans le domaine de la science, si les grands inventeurs ont inventé de grandes choses, c’est aussi parce qu’à un moment donné ils ont accepté d’être dans la recherche et d’accepter qu’il faille se tromper. Je m’inscris vraiment dans ce cadre là et j’essaye de faire confiance à ça.

F: Ton arrivée dans le village s’est bien passée?

Jonas: Oui! Le cadre de vie est toujours hyper intéressant car ils sont toujours différents à chaque résidence. Que ce soit un rapport au scolaire, au paysage, à l’extrême urbanisme de Paris ou à l’étranger où il y a toujours un rapport différent vis-à-vis du relationnel, de la culture ce qui est très enrichissant.

Vannes-le-Châtel est vraiment différent parce que j’intègre un village et une très grosse structure professionnelle avec des gens qui ont tous des spécificités que ce soit les formateurs ou les étudiants qui sont dans leur cursus donc dans un temps qui est très donné.

Moi j’arrive ici comme une pièce rapportée avec l’aura qu’on cherche à me faire porter mais en même temps je ne me sens pas très différent des stagiaires sauf  que je n’ai pas cette initiation du verre. Ce sont ces questionnements que je cherche à toucher puis finalement à comprendre pour trouver ma position ici et comment arriver à la fois à être très intégré et intégrer la technique pour finalement faire sortir mon travail de cela. La grande différence avec les autres résidences, c’est que j’arrive en général avec mon expérience ou en tout cas avec mes intuitions, ma recherche d’atelier.

Là, c’est comme si à un moment donné j’intégrais plutôt une matière et ça inverse le schéma notamment dans mon travail vu que je ne me mets pas de limite sur le médium. Finalement c’est plus mon rapport au monde qui amène les intuitions ou le médium que j’utilise. Là, il y a comme un renversement. Comment construire mes intuitions avec le verre? Je sens que cette partie n’est pas encore trop claire.

F: Et justement ce n’est pas difficile d’être dans une école ou la technique est mise en avant, de ne pas se laisser déborder et arriver à prendre du recul?

Jonas: Si. Là, vraiment pendant ce premier mois, je sentais que c’était la phase découverte, initiation, tout en étant extérieur. Je viens tout juste de faire un peu du soufflage, c’était sympa mais justement, par rapport à la sérigraphie sur verre qui se rapproche de la sérigraphie classique ou le vitrail qui possède des caractéristiques photographiques proche de mon travail, le travail du verre soufflé est inaccessible pour moi dans tout autre contexte. Cela dit, c’est hyper intéressant sur les formes de révolution, sur le fusion et la cristallisation de la matière, qui finalement fait le lien avec un travail que j’avais fait autour de la cire.

Toutefois, il est très compliqué de faire passer la pensée dans le prisme du matériau avec une technique hyper présente. Finalement, je me rends compte, même au sein des étudiants, qu’il y a des idées auxquelles j’avais pensé qui finalement, comme c’est un domaine très spécialisé, ont fait l’étude de recherches techniques et esthétiques assez poussées.

Maintenant, il faut que je trouve ma juste place en faisant le deuil que je ne pourrai pas arriver à une forme d’excellence technique seul et que la plus-value dans mon travail ne pourra pas se baser là-dessus.

Il va donc falloir, à un moment donné, comprendre que j’aurai besoin d’aide ou du moins de trouver le fil à tirer pour que je reste maître de ce que je fais sans forcément le faire moi-même. Il faut que je m’approprie la phase de production même si je reste à l’écart sachant que j’aimerais aussi varier les modes de production. Je sais qu’il y a des objets que je ne me sentirai pas capable de faire.

Ce qui me rassure après cette première expérience de soufflage de verre, c’est que je ne m’en suis pas trop mal sorti. Je pourrai donc potentiellement avoir cette phase d’atelier sur des choses simples. Cela pourra matérialiser des choses assez simples pour faire avancer mes réflexions.

Ce qui est très dur, c’est d’être à l’extérieur et de tout penser, même les essais techniques. C’est très compliqué car tu ne sens pas la matière, la malléabilité et en même temps toute cette construction du verre, cette matérialité est aussi intéressante dans les intuitions que je peux avoir. Je suis donc actuellement sur une vague de compréhension.

F: En effet, on dit que le verrier s’adapte beaucoup à son matériau, notamment au soufflage

Jonas: Ça pour le coup c’est vraiment une préoccupation de sculpteur pour moi. Typiquement, ce n’est pas mon approche donc finalement il faut juste arriver à sentir et trouver son rapport avec la matière. C’est inquiétant mais à la fois passionnant de sentir ça. Il y a peut être des techniques où cette sensation est plus ou moins marquée.

F: Quelle place penses-tu accorder au FabLab et au numérique dans ton travail?

Jonas: Je n’en sais rien mais je vois le potentiel même sur les masques pour le sablage, sur des grilles géométriques ou des phases de fraisage. Je vais faire un test de maquette pour le thermofusing. Quand le rapport n’est pas forcément celui de la sculpture mais plutôt de la maquette, c’est un axe qui peut être très intéressant.

F: Ça te parle les outils numériques alors que tu veux sentir les choses?

Jonas: Je sais pas si ça me parle, ça peut aider sur certains points. J’ai envie de me fermer à rien. De prime abord, je suis pas sûr que ce soit le truc que j’ai envie de développer car je pense être plus sensible au toucher. Finalement, qu’est ce qu’une technique, ici verrière, nous offre sur le rapport au corps, au temps? C’est drôle parce que je me suis rendu compte que le soufflage était quelque chose d’hyper rapide, réactif tandis que la pâte de verre correspondait à la sculpture ou au modelage.

La pâte de verre se rapproche de la photo argentique dans le sens où il n’y a pas d’autre essai puisque l’on casse le moule, tandis que le verre soufflé correspond au numérique où tout est en direct et si ça ne va pas on jette. Ces rapports là sont intéressants dans l’idée du faire et je sens que j’y suis sensible.

Le Fab Lab a tendance à accélérer et à extérioriser. Finalement, tu balances quelque chose qui se fait sans toi. Mais ça peut être intéressant si j’ai des envie de design.

F: Est ce que c’est une prochaine étape de te plonger dans les outils numériques ou ce sera un moyen quand tu seras bloqué?

Jonas: J’en sais rien, je vais tâter. Je considère le Fab Lab comme un atelier comme un autre à expérimenter.

F: Au bout d’un mois, qu’est-ce qui a retenu ton attention au Cerfav? Tu t’es bien intégré, tu te sens bien ici? Le rapport aux étudiants est assez facile je suppose?

Jonas: Oui et non. Oui car effectivement ils sont très sympas je suis bien intégré. J’ai quasiment le même âge que certains, sans doute pas les mêmes histoires, c’est clair. Mais du coup j’arrive avec mon recul sur des gens que je considère un peu comme moi dans une forme de recherche mais presque plus techniquement impliqués. Donc finalement je suis ok sur l’idée qu’on soit dans la même démarche et à la fois il y a un truc qui est compliqué par rapport à la position d’artiste en résidence. J’essaie d’être assez humble dans mon approche des choses.

C’est l’attente là dans la phase de recherche qui n’est pas évidente mais c’est le début. Moi j’apporte mon expérience en tant  que plasticien et d’un autre côté, j’essaie de prendre aussi de ce qu’ils me donnent, des petites astuces, essayer d’aller dans la sensibilité avec eux parce que c’est le même combat et il n’y a pas d’appropriation des choses. C’est vrai que dans le monde du verre, de ce que je sentais avant, il y a ce côté métier d’art qui cache ses secrets parce qu’on est dans une part technicité esthétique. C’est celui qui sera le plus technique ou le plus esthétique et il faut arriver à sortir de ça et du coup le rapport aux étudiants est très intéressant mais c’est une ligne particulière.

F: Quel est ton rapport avec les formateurs du Cerfav ? 

Jonas: Ça se passe bien. Après, ça fait partie de la difficulté, mais ils ne sont pas là « pour moi ». Ils ont déjà un programme chargé avec les étudiants et leurs horaires de cours fixes même si j’arrive à m’intégrer dans les ateliers. Après ce n’est que le début.

L’atelier soufflage m’a vraiment fait du bien parce que l’on était pas nombreux et que je me sentais en autonomie.

Jean-Pierre Mateus (reponsable de l’atelier de soufflage du Cerfav) m’a guidé sur des points très techniques comme le cueillage, la goutte, la mise à l’arche, ce qu’il fait faire aux élèves qui vont passer le CAP. C’était bien car même à la fin, il m’a dit que je m’en sortais bien et moi ça me donne des perspectives simples mais juste  me dire que si je veux faire une sphère avec de la poudre pour des tests, à terme, je peux en être capable. Ça peut ouvrir des choses.

F: Et avec le reste de l’équipe du Cerfav? 

Jonas: Avec les ingénieurs, j’ai déjà eu un premier contact a posteriori en fait. J’ai eu un rendez vous un peu spécifique ce qui nous a permis de nous apprivoiser. Pour moi c’est très intéressant. Pour l’instant, je n’ai pas du tout développé cet aspect, j’ai commencé à y réfléchir personnellement plutôt par l’écriture mais je trouve ça d’autant plus intéressant que dans mon travail d’aucun dise que c’est un travail assez poétique mais finalement il y a aussi un côté scientifique assez présent.

J’ai aussi tendance à vouloir revenir à l’origine des matériaux que ce soit la photographie ou autre chose donc de se retrouver sur des principes chimiques ou qui touchent à l’histoire est très intéressant.

C’est sur qu’il y a lien mais j’essaie de ne pas me formaliser sur ce qui va en sortir mais à terme ce sont des points qui peuvent être très intéressants.

F: Tu es installé dans l’atelier face celui de soufflage dans la Galerie-Atelier, accessible au grand public. Comment vas-tu utiliser cet espace?

Jonas: Pour l’instant, c’est un peu une zone. C’était bien de voir Antoine (Mexmain, le verrier du Cerfav) à côté mais j’ai passé la plupart du temps dans les ateliers techniques. Je venais justement avec mon pc pour avoir un rapport avec l’atelier. Pour l’instant cela reste un peu prématuré même si je commence à avoir des petits tests qui arrivent. A terme, ce sera plus un lieu de recul qu’un espace de fabrication. Une proximité pourra se créer avec Antoine petit à petit, ce qui sera très intéressant.

F: Comment envisages-tu les prochaines semaines ?

Jonas: J’espère entrer dans une phase un peu plus transitoire. Avec le soufflage, j’ai eu l’impression d’être dans le faire ce qui m’a fait beaucoup de bien car ça m’a permis de rééquilibrer un peu les temps dans la création. C’est bien d’être en recherche, de griffonner sur du papier mais à un moment donné, il faut avoir ce rapport à la matière.

Qui plus est, l’idée de faire juste techniquement les choses permet d’ouvrir un peu l’entonnoir. Trouver une idée avec une technique donnée est inquiétante. J’espère arriver à l’inverse après avoir touché un peu les différents techniques. J’aurai senti des choses, je serai plus intégré, l’objet de ma réflexion sera à l’intérieur de moi et ça permettra aux intuitions de venir plus facilement.

Je ne veux faire un projet en verre parce que l’on est dans un espace qui fait du verre.

Je pense aussi qu’il serait intéressant qu’il n’y ait pas que du verre. Il y des choses que je vois dans la manière dont le cerfav fonctionne et les traces que le verre laisse qui m’intéressent beaucoup. Avec le temps d’exposition à la fin, il y a possibilité de montrer des objets qui sont réfléchis pour le verre mais aussi de parler de l’occupation d’un espace, de l’habitation d’un centre de formation, du rapport au verre.

Merci à Sébastien Chollet, en mission service civique culture au Cerfav pour la retranscription et les photos 😉 

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